CHAPITRE XI

 

— Hallucinant ! répéta pour la troisième fois, au moins, le professeur Loreth.

Il redressa sa petite taille et son regard brilla dans l’ombre du laboratoire.

Celui-ci, du reste, présentait un aspect inhabituel et fantastique. Les ténèbres envahissaient les moindres recoins, mais tous les objets semblaient entourés de ce même halo bleuté, si caractéristique, comme s’ils eussent été phosphorescents.

Aucun des biologistes présents, hormis Spricey, eût été capable de se diriger, car tous ces objets étaient séparés par des zones d’obscurité absolue.

Loreth contempla ses collègues, visibles seulement grâce à leur espèce de phosphorescence.

— Messieurs, dit-il, cet être présente un organe visuel bien différent du nôtre. Son œil est TOTALEMENT DEPOURVU de paupières ! De plus, sa peau ne comporte aucun pigment colorant, d’où cette couleur blanchâtre. Si cet être ne venait pas d’une autre planète, je n’hésiterais pas à affirmer qu’il est atteint d’albinisme.

Le biologiste canadien prit la parole à son tour.

— Il est bien évident que malgré toutes les ressemblances que présente cet être, nous ne pouvons le considérer comme un échantillon de la race humaine. Pourtant, hormis son organe visuel et la couleur de sa peau, on pourrait le prendre pour un Pygmée. Un Pygmée bâti normalement, toutes les proportions du corps étant respectées. Nous n’avons donc pas affaire à un être difforme ou monstrueux.

Spricey se dirigea vers un interrupteur, et bientôt, un flot de lumière électrique inonda le laboratoire. Sur la table, l’être hallucinant était redevenu invisible.

— Messieurs, fit le biologiste américain, j’en conclus que la lumière agit sur cet être dont le corps est un excellent milieu réfringent. Les rayons lumineux ne l’atteignent donc pas et voilà pourquoi il demeure invisible à nos yeux d’humains.

Loreth hocha la tête :

— Possible. En tout cas, il ressort de nos observations que notre agresseur n’est pas fait pour vivre à la lumière. Son organe visuel en fait foi. Car si notre œil ne possédait pas de paupières, Messieurs, nous ne pourrions jamais fixer la lumière électrique et solaire. Les paupières protègent la vue de l’intensité des rayons lumineux, en se refermant plus ou moins. Dans l’obscurité, elles s’ouvrent au maximum.

— Je suis d’accord avec vous, fit le biologiste canadien. Mais de quelle planète vient donc notre ennemi ?

Loreth haussa les épaules en signe d’impuissance. C’était au-dessus de ses possibilités que de répondre à une telle question.

Spricey sourit, énigmatique :

— De quelle planète, évidemment ? D’un monde plongé indéfiniment dans les ténèbres, que le soleil n’éclaire jamais. Je sais bien que cela peut paraître extraordinaire, car si éloignée fût-elle du soleil, aucune planète n’est plongée dans l’éternelle obscurité. Messieurs, il faut donc chercher plus loin que notre système solaire.

Les biologistes se regardèrent un instant. Leurs traits étaient contractés. Une terrible consternation marquait leurs visages.

— Cet être viendrait d’une planète hors de notre système solaire ? balbutia le Directeur du Centre biologique de Moscou. Existe-t-il donc, dans l’infini de l’Univers, une planète obscure, qui ne reçoit ni lumière, donc ni chaleur ?

— Permettez, mon cher collègue, intervint Spricey. Une planète sans lumière n’est pas forcément froide. Que faites-vous du feu central ? Pourquoi ne pas admettre qu’une planète peut produire sa propre chaleur ?

— Evidemment, murmura le Soviet. Notre imagination peut inventer d’invraisemblables hypothèses, sans qu’il soit possible de les contrôler.

— Je l’admets, approuva Spricey. Mais nos connaissances, sur les autres Mondes de l’Univers, sont réduites à d’élémentaires observations, derrière l’oculaire d’un télescope. D’ailleurs, nous ne pourrions apercevoir la planète d’où vient notre agresseur, puisqu’elle est plongée dans l’obscurité et ne réfléchit par conséquent aucune lumière.

Loreth se gratta le menton et se prit à réfléchir. Il resta un moment silencieux puis se décida à parler.

— Puisque selon toute probabilité, notre hallucinant ennemi est constitué pour vivre dans la plus profonde obscurité, il est curieux de noter, tout de même, que son organe visuel résiste admirablement à la lumière solaire, alors que logiquement, il devrait devenir aveugle.

Spricey et ses collègues n’avaient pas pensé à cela. Tant de questions se pressaient dans leurs esprits enfiévrés, qu’ils en oubliaient les plus élémentaires.

— Quelque chose nous échappe, murmura le savant américain. De toute façon, Messieurs, je vais vous demander de poursuivre vos recherches, chacun de votre côté. Il est urgent que nous découvrions une arme pour lutter contre notre ennemi. La pauvreté de son sang, surtout en leucocytes, doit être son point faible. Il faut créer une bactérie, incapable d’être digérée par ses leucocytes.

Loreth venait de se pencher à nouveau sur le microscope électronique. Il abandonna son examen et se tourna vers Spricey.

— Mais songez que la composition de ce sang est la même que le nôtre. Ne craignez-vous pas qu’en créant une arme bactériologique, nous risquions de contaminer l’humanité tout entière ?

— Bien entendu, vos expériences devront porter également sur notre propre phagocytose. Il s’agit donc d’étudier différemment la résistance de nos leucocytes et ceux de notre ennemi. Maintenant il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne chance. Nous centraliserons nos recherches et je vous demande un effort, Messieurs. L’humanité est en jeu.

Spricey scruta les visages sévères de ses collègues. Ceux-ci ne répondirent pas, mais à l’intensité de leurs regards, le savant américain comprit qu’ils feraient le maximum.

Spricey inclina la tête, satisfait.

— Merci, Messieurs. Nous pouvons aller dîner.

Un à un, les biologistes sortirent du laboratoire, non sans jeter un dernier regard sur la table d’opération…

 

*

*  *

 

Maxwell parcourut des yeux le rapport de Spricey, et lorsqu’il eut terminé sa lecture, — ce qui lui prit un certain temps  – il redressa la tête.

Corry attendait en face de lui. Un Corry parfaitement calme, aux traits détendus, et qui, pendant que son adjoint lisait, observait Joan à la dérobée.

Et Joan souriait timidement, parce qu’au fond, malgré son regard perçant, Corry n’était pas un mauvais diable. C’était même un chic type, qui faisait l’admiration de ses employés. Et depuis qu’il commandait la brigade spéciale, avec tous les risques que cela comportait, l’estime de ses adjoints avait doublé.

— Alors, Maxwell, qu’en pensez-vous ?

Maxwell grimaça et alluma un cigare.

— Hum ! Pas très optimiste, le rapport de Spricey. Je ne comprends pas très bien son histoire de milieu réfringent. Le professeur emploie des termes techniques qui me sont indéchiffrables, et ceci, malgré ma meilleure volonté. En résumé, nous avons affaire à un ennemi peu ordinaire, qui a la taille d’un Pygmée, le teint d’un albinos, et des yeux sans paupières. Enfin, c’est un être que l’on ne voit que la nuit, autrement dit, jamais.

— Hein ? sursauta Corry. Que racontez-vous là, Maxwell ?

— Mais… la stricte vérité. Le jour, notre ennemi est invisible, parce que son corps est un milieu réfringent, que n’atteignent même pas les rayons lumineux. La nuit, ce sont nos yeux d’humains qui sont incapables de le discerner.

— Ah ! bon. Vous vous étiez mal expliqué, Maxwell. En fait, Spricey voulait un spécimen de notre agresseur et il m’avait promis que du même coup, nous aurions une arme défensive. Or quelle arme a-t-il à nous proposer ?

Joan se pinçait le nez et se retenait pour ne pas tousser. Maxwell fumait avec acharnement, un peu comme une locomotive à vapeur. A ce régime, l’air de la pièce devint vite irrespirable et même Corry, qui en avait pourtant l’habitude, se mit à se racler la gorge.

Maxwell comprit qu’il empestait l’atmosphère. Il écrasa son cigare dans un cendrier.

— Spricey espère dans la création d’une bactérie, capable de vaincre l’organisme de notre agresseur.

— Je suis d’accord avec lui, Maxwell, mais la guerre bactériologique a un double tranchant. Il n’est pas question, pour pouvoir anéantir l’ennemi, de contaminer toute la planète. Par contre, j’envisage un autre moyen, qui a fait ses preuves, d’ailleurs.

Joan s’arrêta de taper. Elle trouvait Corry extraordinaire et se demandait pourquoi il n’était pas encore Président des Etats-Unis.

Maxwell regarda longuement son chef avec des yeux vagues. Il hésitait à puiser dans la boîte de cigares.

— Les pistolets électrocuteurs ?

— Allons, Maxwell, ne soyez pas aussi borné. Le pistolet électrocuteur serait une arme efficace, en effet, si nous pouvions voir notre ennemi. La meilleure arme ne serait-elle pas de le rendre visible ?

— Par quel procédé ?

— Voyons, Spricey nous l’a indiqué lui-même. Son laboratoire est équipé d’un éclairage à l’infrarouge, doublé d’un écran à polymorphisme. C’est grâce à ce rayon que le corps de notre agresseur a pu apparaître, dans l’obscurité du laboratoire.

Maxwell se dressa vivement et se mit à marcher dans le bureau. Il regarda son chef avec une espèce de pitié.

— Votre idée est complètement ridicule, Corry. Vous semblez ignorer que ce genre d’éclairage n’est employé que dans certains laboratoires. C’est une découverte récente. De plus, avez-vous songé aux extraordinaires moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour balayer la nuit avec de tels rayons ? Car ce n’est que la nuit, a bien précisé Spricey, que notre ennemi pourrait être visible… Non, Corry, votre projet est Utopique, et lorsque nos agresseurs nous verraient mettre en batterie cette tactique nouvelle, ils se mettraient vite hors de portée.

Corry laissa tomber sa tête dans ses mains. Un immense désespoir l’envahit.

— Vous avez raison, Maxwell. Sur le moment, je n’ai pas réfléchi. J’ai cru que Spricey venait de nous donner une arme. En définitive, ce n’était qu’une illusion… Reste encore l’espoir de l’arme bactériologique.

Maxwell se rassit. Il était moins nerveux, plus décontracté et il puisa sans hésitation dans la boîte de cigares.

La flamme de son briquet illumina son regard sombre.

— Tous les grands centres biologiques de la planète travaillent à cet effet. Si l’on n’arrive pas à produire la bactérie pathogène, nous sommes irrémédiablement condamnés, dans un temps plus ou moins long.

— Charmante perspective, grommela Mac-Corry en se dirigeant vers son bureau.

Dès qu’il eut pénétré dans la pièce, il se pencha par la fenêtre. Spark-Avenue était toujours déserte, vide, sinistre…

Alors, le chef du district de Washington, d’un air fatigué, se prit à réfléchir.

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